Transcription du début de l’émission radiophonique que me consacra Marcel Julian.
Oui. Imaginons que nous sommes à la fin juin de l’année 52 avant J.C., le soir de la bataille de Gergovie. Le centurion Fabius -c’est son véritable nom- y a participé de façon active. Il va nous accompagner jusqu’à la fin. Je veux dire jusqu’à la reddition de Vercingétorix à Alésia. Le soldat n’a pas de nom. Comme les dizaines de milliers d’autres qui suivent le destin de César. C’est un sujet grave et magnifique dont nous allons débattre ce soir avec notre invité. De la guerre des Gaules. De la race gauloise. Des romains apportant leurs armes, leurs lois et leurs dieux. Et de la bataille d’Alésia, il y a plus de deux mille ans de cela.
Les travaux, les convictions, les démonstrations des plus grands spécialistes : Fustel de Coulanges, Henri Martin, Camille Jullian, Jérôme Carcopino, Jean Markale et toute une longue cohorte, se recoupent, se complètent ou se contredisent.
Tout à l’heure nous nous poserons quatre questions, extrêmement graves, à l’aube pointe du 3è` millénaire, des questions dont les réponses peuvent influencer notre destinée : 1°) qui était les vaincus d’Alésia, nos ancêtres les Gaulois ? 2°) étaient-ils, par comparaison avec leurs envahisseurs, des barbares face aux civilisés ?
3°) qui était vraiment Vercingétorix ? 4°) enfin où était le site d’Alésia ?….
……..Vercingétorix ! Selon la traduction qu’on en fait, pour les Gaulois, il peut être soit « le grand roi des guerriers », soit ce que préfère Camille Jullian, « le roi des grands guerriers ». Sur les statères d’or qu’il a émis en signe de souveraineté, il s’est fait représenter, tantôt casqué, tantôt tête nue. Il est symbole de légitimité, de révolte et de liberté. Face aux légions romaines il dresse le peuple de la nuit. Les Celtes sortent de leur forêt comme l’armée des ombres du chant des partisans. Pour la Gaule, l’apparition de Vercingétorix c’est l’appel du 18 juin. C’est du même coup la jeunesse qui se lève. Vercingétorix a vingt ans ! Camille Jullian le voit comme dépassant tous les autres chefs gaulois, par la chaleur de ses sentiments et la lucidité de ses conceptions. « Son charme et sa grandeur, écrit-il, n’appartiennent qu’à lui : le charme de l’homme brillant de jeunesse qui n’aura fait que traverser l’Histoire avec la fougue et la candeur de son âge, au service d’une cause généreuse et décevante, vers un destin inachevé ; la grandeur du chef qui, seule de son sang, s’est montré capable, ne fut-ce que durant quelques mois, de balancer la fortune de César »…..
A partir de là, nous entrons dans le malentendu, la controverse, l’affirmation et le refus d’abord sur l’emplacement d’Alésia. Jérôme Carcopino est catégorique et définitif : « Je ne reviendrai pas sur les polémiques alimentées par la localisation d’Alésia. Pour aucun érudit sérieux, l’identification d’Alésia avec Alise Sainte-Reine (Côte d’Or) ne saurait faire de doute ». C’est, depuis Napoléon III, et avec le concours de Viollet-le-Duc, le site « officiel » de la bataille.
L’an dernier, le Journal Officiel a annoncé qu’Alise-Sainte-Reine ne figurait plus dans la liste des sites d’intérêt national. Que signifie cette mesure ? A-t-elle un rapport quelconque avec la recherche d’André Berthier, archéologue correspondant de l’Institut qui, en prenant pour base l’application du portrait robot, morpho-géographique, affirme n’avoir trouvé la figure d’Alésia Correspondant aux descriptions précises de César, qu’en un seul lieu : celui de Syam/La Chaux des Crotenay dans le Jura. C’est aussi la conviction de l’abbé André Vartelle. Nous y viendrons tout à l’heure point par point avec notre invité qui a recueilli, sur place, les révélations de l’archéologue. Cette querelle à propos du lieu a alimenté les ouvrages des spécialistes du siècle dernier. « La mêlée ne s’est pas produite comme le veut Jullian, et comme j’ai eu le tort, naguère, de le répéter, écrivait Jérôme Carcopino, dans la plaine de Dijon, à cinquante kilomètres au sud d’Alésia, mais au nord de cette place et à une distance beaucoup plus courte ».
César, pour sa part, décrit avec rigueur le fameux Alésia : « La place proprement dite était située au sommet d’une très grande colline, écrit-il dans ses « commentaires de la guerre des Gaules », et paraissait ne pouvoir être prise qu’au moment d’un siège. Deux cours d’eaux baignaient le pied de cette colline. Une plaine d’environ trois milles de long s’étendait devant la ville. Cette colline était entourée d’autres de même hauteur ».
C’est donc là qu’il a rendez-vous avec ce jeune Vercingétorix pour l’épilogue d’une guerre qui -aux dires de Camille Jullian »prit parfois les allures d’une folie de jeunesse »…
…Et pourtant ! Après plusieurs charges et empoignades, les Gaulois ont dû se résigner à se retrancher dans Alésia, au sommet de sa butte. César sait qu’il les tient, encerclés. Il le reconnaît : « Nos hommes faiblissaient, mais les Germains assurèrent la victoire ! ». « Même avec le produit de ses quinze jours de razzias et l’appoint des réserves des Mandubiens, écrit Jérôme Carcopino, Vercingétorix n’a guère, devant lui, pour nourrir ses 80 000 hommes qu’un mois de vivres. Tout conseille à César de chercher à abattre les Gaulois par la prolongation d’un blocus impitoyable »…
…Vercingétorix envoie un émissaire à son vainqueur pour lui proposer la reddition. César l’accepte à la condition que les armes et les chefs lui soient livrés. Il reconnaît dans ses « commentaires » la grandeur de son adversaire : »I1 ne s’arma jamais pour son intérêt personnel mais pour la défense et la liberté de tous ! » « Durant la nuit, écrit Pierre Lance dans son ouvrage « La défaite d’Alésia », Vercingétorix va faire le bilan et prendre son ultime décision. Il a compris que la Gaule ne s’est pas levée à son appel et il a vu que les deux tiers de ceux qui sont venus n’ont pas combattu ».
« Alors, reprend Jérôme Carcopino, l’Arverne réunit ses braves pour la dernière fois et, animé par sa croyance en l’efficacité expiatoire du sacrifice humain, il s’offre à eux comme la victime qu’il leur appartient, pour leur propre rachat, de consacrer, morte ou vive, à la victoire des Romains ».
Implacable, César ordonne de jeter Vercingétorix aux fers où il attendra six ans son supplice.
« Aux autres survivants du siège, écrit Jérôme Carcopino, le Romain fit grâce de la vie, mais, après avoir séparé du troupeau les Eduens et les Arvernes, dans la pensée de se servir d’eux pour regagner leurs nations, il asservit et distribua le reste à ses soldats, à raison d’un esclave par tête de Romain. » Et, lyriquement ce qui n’est pas forcément moins véridique Pierre Lance conclut : « Et c’est la Gaule qui a perdu la guerre. Ce n’est pas Vercingétorix ».
Le temps va passer -six longues années de geôle romaine- avant que, le 26 septembre, Vercingétorix soit étranglé comme autrefois Jugurtha. César a vieilli. Suétone le décrit de façon saisissante : « Il avait, dit-on, la taille haute, le teint blanc, les membres bien faits, le visage un peu trop plein, les yeux noirs et vifs, une santé robuste, quoique, dans les derniers temps, il fut sujet à des syncopes soudaines et même à des terreurs qui interrompaient son sommeil. Il eut aussi, deux fois, des attaques d’épilepsie en plein travail »…
Vercingétorix est toujours là. Il incarne mieux que quiconque, pour nous Gaulois, cette phrase de Michelet tirée de son « Histoire de France » : « Les âmes de nos pères vibrent encore en nous pour des douleurs oubliées, à peu près comme le blessé souffre à la main qu’il n’a plus ! ».