La bataille d’Alésia
Après l’assemblée de Bibracte Vercingétorix engage un combat de cavalerie contre les légions romaines en fuite vers la Province. Les Gaulois sont défaits et Vercingétorix se replie dans la ville d’Alésia.
« Après cette déroute de toute sa cavalerie, Vercingétorix qui avait disposé ses troupes en avant de son camp, les mit en retraite incontinent, et prit la route d’Alésia, ville des Mandubiens, en ordonnant qu’on se hâtât de faire sortir du camp les bagages et de les acheminer à sa suite. César ayant fait conduire ses bagages sur la colline la plus proche et ayant laissé deux légions pour les garder, poursuivit l’ennemi aussi longtemps que le jour le lui permit, et lui tua environ trois mille hommes à l’arrière-garde ; le lendemain, il campa devant Alésia. S’étant rendu compte de la force de la position, et voyant, d’autre part, que l’ennemi était terrifié, parce que sa cavalerie, qui était l’arme sur laquelle il comptait le plus, avait été battue, il exhorta ses soldats au travail et entreprit l’investissement de la place […]
« Les travaux qu’entreprenaient les Romains se développaient sur une longueur de dix milles Les camps avaient été placés aux endroits convenables et on avait construit, également en bonne place, vingt-trois postes fortifiés ; dans ces postes, on détachait pendant le jour des corps de garde, pour empêcher qu’une attaque soudaine se produisît sur quelque point ; pendant la nuit, il y avait dans ces mêmes postes des veilleurs, et de fortes garnisons les occupaient »
(César, La Guerre des Gaules, VII, 69).
Premier combat des assiégés :
« Les travaux étaient en cours d’exécution quand eu lieu un combat de cavalerie dans la plaine qui, comme nous l’avons expliqué tout à l’heure, s’étendait entre les collines sur une longueur de trois mille pas. L’acharnement est extrême de part et d’autre. César envoie les Germains au secours des nôtres qui fléchissent, et il range ses légions en avant du camp, pour prévenir une attaque soudaine de l’infanterie ennemie. L’appui des légions donne du coeur à nos combattants : les ennemis sont mis en déroute : leur nombre les gêne, et comme on a laissé les portes trop étroites, ils s’y écrasent. Les Germains les poursuivent vivement jusqu’aux fortifications […] Vercingétorix fait fermer les portes, pour éviter que le camp ne se vide. Après avoir tué beaucoup d’ennemis et pris un très grand nombre de chevaux, les Germains se replient »
(César, La Guerre des Gaules,VII, 70).
Vercingétorix renvoie sa cavalerie et appelle la Gaule à Alésia :
« Vercingétorix décide de faire partir nuitamment tous ses cavaliers avant que les Romains n’achèvent leurs travaux d’investissement. En se séparant d’eux, il leur donne mission d’aller chacun dans leur pays et d’y réunir pour la guerre tous les hommes en âge de porter les armes. Il leur expose ce qu’ils lui doivent, et les conjure de songer à son salut, de ne pas le livrer aux tortures de l’ennemi, lui qui a tant fait pour la liberté de la patrie. Il leur montre que s’ils ne sont pas assez actifs, 80 000 hommes d’élite périront avec lui […] Après leur avoir confié ce message, il fait partir ses cavaliers en silence, pendant la deuxième veille, par le passage qui s’ouvrait encore dans nos lignes »
(César, La Guerre des Gaules, VII, 71).
Travaux de César autour d’Alésia :
« Mis au courant par des déserteurs et des prisonniers, César entreprit les travaux que voici. Il creusa un fossé de vingt pieds de large…, il creusa deux fossés larges de quinze pieds et chacun de profondeur égale, il remplit le fossé intérieur, dans les parties qui étaient en plaine et basses, d’eau qu’il dériva de la rivière. Derrière ces fossés, il construisit un terrassement surmonté d’une palissade, dont la hauteur était de douze pieds […] On coupa donc des troncs d’arbres ayant des branches très fortes et l’extrémité de celles-ci fut dépouillée de son écorce et taillée en pointe ; d’autre part, on creusait des fossés continus profonds de cinq pieds. On y enfonçait ces pieux, on les reliait entre eux par le bas, pour empêcher qu’on les pût arracher, et on ne laissait dépasser que le branchage. Il y en avait cinq rangées, reliées ensemble et entrelacées : ceux qui s’engageaient dans cette zone s’empalaient à la pointe acérée des pieux. On les avait surnommés les cippes. Devant eux […] en rangées obliques et formant quinconce, des trous profonds de trois pieds […] On y enfonçait des pieux lisses de la grosseur de la cuisse, dont l’extrémité supérieure avait été taillée en pointe et durcie au feu ; on ne les laissait dépasser le sol que de quatre doigts […] Le reste était recouvert de branchages et de brous42 sailles afin de cacher le piège. On en fit huit rangs, distants les uns des autres, de trois pieds. On les appelait lis, à cause de leur ressemblance avec cette fleur. En avant de ces trous, deux pieux longs d’un pied, dans lesquels s’enfonçait un crochet de fer, étaient entièrement enfouis dans le sol ; on en semait partout et à intervalles rapprochés ; on leur donnait le nom d’aiguillons […] « Ces travaux achevés, César, en suivant autant que le lui permit le terrain la ligne la plus favorable, fit sur quatorze milles de tour, une fortification pareille à celle-là, mais inversement orientée, contre les attaques du dehors »
(César, La Guerre des Gaule,VII, 73-74).
Les Mandubiens sont expulsés :
« Les Mandubiens, qui pourtant les avaient accueillis dans leur ville, sont contraints d’en sortir avec leurs enfants et leurs femmes. Arrivés aux retranchements romains, ils demandaient, avec les larmes et toutes sortes de supplications, qu’on voulût bien les accepter comme esclaves et leur donner quelque nourriture. Mais César disposa sur le rempart des postes de garde et interdisait de les recevoir »
(César, La Guerre des Gaule,VII, 78).
Arrivée de l’armée de secours :
« […] Commios et les autres chefs à qui l’on avait donné le haut commandement arrivent devant Alésia avec toutes leurs troupes, et, ayant occupé une colline située en retrait, s’établissent à mille pas à peine de nos lignes »
(César, La Guerre des Gaule,VII, 79).
Premier combat :
« Le lendemain, ils font sortir leur cavalerie et couvrent toute la plaine dont nous avons dit qu’elle avait trois milles de long ; leur infanterie, ils la ramènent un peu en arrière et l’établissent sur les pentes en la dérobant à la vue des Romains. D’Alésia, la vue s’étendait sur cet espace. Quand on aperçoit l’armée de secours, on s’assemble, on se congratule, tous les coeurs bondissent d’allégresse.
Les assiégés font avancer leurs troupes et les établissent en avant de la ville ; ils jettent des passerelles sur le fossé le plus proche ou le comblent de terre, ils s’apprêtent à faire une sortie et à braver tous les hasards. […]
« César ordonne que la cavalerie sorte du camp et engage le combat. De tous les camps, qui de toutes parts occupaient les crêtes, la vue plongeait, et tous les soldats, le regard attaché sur les combattants, attendaient l’issue de la lutte. Les Gaulois avaient disséminé dans les rangs de leur cavalerie des archers et des fantassins armés à la légère, qui devaient se porter au secours des leurs s’ils faiblissaient et briser les charges des nôtres […]
Persuadés de la supériorité de leurs troupes et voyant les nôtres accablés par le nombre, les Gaulois, de toutes parts, ceux qui étaient venus à leur secours, encourageaient leurs frères d’armes par des clameurs et des hurlements. Comme l’action se déroulait sous les yeux de tous et qu’il n’était pas possible qu’un exploit ou une lâcheté restât ignoré, des deux côtés l’amour de la gloire et la crainte du déshonneur excitaient les hommes à se montrer braves.
Le combat durait depuis midi, on était presque au coucher du soleil, et la victoire restait indécise, quand les Germains, massés sur un seul point, chargèrent l’ennemi en rangs serrés et le refoulèrent ; les cavaliers mis en fuite, les archers furent enveloppés et massacrés. De leur côté, nos cavaliers, s’élançant des autres points du champ de bataille, poursuivirent les fuyards jusqu’à leur camp et ne leur permirent pas de se ressaisir. Ceux qui d’Alésia s’étaient portés en avant, accablés, désespérant presque de la victoire, rentrèrent dans la ville »
(César, La Guerredes Gaules, II, 79-80).
Deuxième combat :
« Les Gaulois ne laissent passer qu’un jour et pendant ce temps, fabriquent une grande quantité de passerelles, d’échelles et de harpons ; puis, au milieu de la nuit, en silence, ils sortent de leur camp et s’avancent vers nos fortifications de la plaine. Ils poussent une clameur soudaine, pour avertir les assiégés de leur approche […] Au même moment, entendant la clameur, Vercingétorix fait sonner la trompette pour alerter ses troupes et les conduit hors de la ville […] L’obscurité empêche qu’on voie devant soi, et les pertes sont lourdes des deux côtés. L’artillerie lance une grêle de projectiles. Cependant les légats Marcus Antonius et Gaius Trebonius*, à qui incombait la défense de ce secteur, envoyaient sur les points où ils comprenaient que nous faiblissions, des renforts qu’ils empruntaient aux fortins situés en arrière »
(César, LaGuerre des Gaules, VII, 81).
Troisième combat – le camp nord :
« Repoussés par deux fois avec de grandes pertes, les Gaulois délibèrent sur la conduite à tenir : ils consultent des hommes à qui les lieux sont familiers : ceux-ci les renseignent sur les emplacements des camps dominant la plaine et sur l’organisation de leur défense. Il y avait au nord une montagne qu’en raison de sa vaste superficie nous n’avions pu comprendre dans nos lignes, et l’on avait été forcé de construire le camp sur un terrain peu favorable et légèrement en pente. Il était occupé par les légats Caius Antistius Reginus et Caius Caninius Rebilus, à la tête de deux légions. Après avoir fait reconnaître les lieux par leurs éclaireurs,
les chefs ennemis choisissent 60 000 mille hommes sur l’effectif total des cités qui avaient la plus grande réputation guerrière ; […] ils fixent l’heure de l’attaque au moment où on verra qu’il est midi. Ils donnent le commandement de ces troupes à l’Arverne* Vercassivellaunos*, l’un des quatre chefs, parent de Vercingétorix. Il sortit du camp à la première veille ; ayant à peu près terminé son mouvement au lever du jour, il se dissimula derrière la montagne et fit reposer ses soldats des fatigues de la nuit. Quand il vit qu’il allait être midi, il se dirigea vers le camp dont il a été question ; en même temps, la cavalerie s’approchait des fortifications de la plaine et le reste des troupes se déployait en avant ducamp gaulois […]
« Vercingétorix, apercevant les siens du haut de la citadelle d’Alésia sort de la place ; […] on se bat partout à la fois […]
« César qui a trouvé un bon observatoire suit l’action dans toutes ses parties ; il envoie du renfort sur les points menacés […] Le danger est surtout grand aux fortifications de la montagne où nous avons dit qu’on avait envoyé Vercassivellaunos. La pente défavorable du terrain joue un grand rôle. Les uns jettent des traits, les autres s’approchent en formant la tortue ; des troupes fraîches remplacent sans cesse les troupes fatiguées […]. Déjà les nôtres n’ont plus d’armes, et leurs forces les abandonnent. […]
« Quand il apprend cela, César envoie Labienus* avec six cohortes au secours de ceux qui sont en péril ; […] Il se rend luimême auprès des autres combattants, les exhorte à ne pas céder à la fatigue […] Les assiégés, désespérant de venir à bout des fortifications de la plaine, car elles étaient formidables, tentent l’escalade des escarpements […]
« César envoie d’abord le jeune Brutus avec des cohortes, puis son légat Caius Fabius avec d’autres ; à la fin, la lutte devenant plus vive, il amène lui-même des troupes fraîches. Ayant rétabli le combat et refoulé l’ennemi, il se dirige vers l’endroit où il avait envoyé Labienus ; il prend quatre cohortes au fort le plus voisin, et ordonne qu’une partie de la cavalerie le suive, que l’autre contourne les retranchements extérieurs et attaque l’ennemi à revers. Labienus voyant que ni terrassements ni fossés ne pouvaient arrêter l’élan de l’ennemi, rassemble trente-neuf cohortes, qu’il eut la chance de pouvoir tirer des postes voisins, et informe César de ce qu’il croit devoir faire. […]
« César se hâte pour prendre part au combat. Reconnaissant son approche à la couleur de son vêtement, le manteau de général qu’il avait l’habitude de porter dans l’action, et apercevant les escadrons et les cohortes dont il s’était fait suivre car des hauteurs que les Gaulois occupaient, on voyait les pentes que descendait César, les ennemis engagent le combat. Une clameur s’élève des deux côtés, et aussitôt y répond de la palissade et de tous les retranchements une clameur. Les nôtres, renonçant au javelot, combattent avec l’épée. Soudain, les ennemis aperçoivent la cavalerie derrière eux. De nouvelles cohortes approchaient : ils prirent la fuite. Nos cavaliers leur coupent la retraite. Le carnage est grand. Sedullos, chef militaire des Lémovices et leur premier citoyen est tué ; l’Arverne Vercassivellaunos est pris vivant tandis qu’il s’enfuit ; on apporte à César soixante-quatorze enseignes ; bien peu, d’une armée si nombreuse, rentrent au camp sans blessure. Apercevant de la ville, le massacre et la fuite de leurs compatriotes, les assiégés désespérant d’être délivrés, ramènent leurs troupes du retranchement qu’elles attaquaient. À peine entendent-elles le signal de la retraite, les troupes de secours sortent de leur camp et s’enfuient. Si nos soldats n’avaient été harassés pour être maintes fois intervenus en renfort et avoir été à la peine toute la journée, on aurait pu détruire entièrement l’armée ennemie. La cavalerie, lancée à sa poursuite, atteint l’arrière- garde peu de temps après minuit ; beaucoup sont pris ou massacrés ; les autres, ayant réussi à s’échapper, se dispersent dans leurs cités »
(César, La Guerre des Gaules, VII, 83-88).
« Mais César, qui avait le don de tirer parti de toutes les circonstances de la guerre et, en particulier, de saisir les occasions, leva le camp dès qu’il apprit la révolte et marcha sur l’ennemi, faisant voir aux barbares*, par les chemins mêmes qu’il emprunta, par sa course impétueuse au coeur d’un hiver si rigoureux, qu’ils avaient en face d’eux une armée invincible et irrésistible. Car là où l’on avait peine à imaginer qu’un de ses messagers ou de ses courriers réussît à parvenir, même en prenant beaucoup de temps, ils l’y voyaient en personne avec toute son armée, pillant et ravageant leur pays, détruisant leurs places fortes et recevant des transfuges, jusqu’au moment où les Éduens* se déclarèrent contre César, alors que précédemment ils se nommaient les frères des Romains et avaient été reçus d’eux avec des honneurs éclatants.Leur entrée alors dans la ligue des révoltés jeta les troupes de César dans un profond découragement. Celui-ci fut donc obligé de décamper et de traverser le pays des Lingons* pour entrer dans celui des Séquanes* amis des Romains*, qui se trouvent en avant de l’Italie, face au reste de la Gaule. Là, pressé par les ennemis,enveloppé par une armée innombrable, il entreprit une bataille décisive et, lançant toutes ses troupes, réussit à avoir le dessus et à réduire les barbares au prix d’un combat long et sanglant. Néanmoins il semble qu’au début il connut quelque échec et les Arvernes montrent une épée suspendue dans un temple comme une dépouille prise sur César. Mais lui, lorsqu’il la vit, plus tard, ne fit que sourire et comme ses amis l’engageaient à la faire ôter, il refusa, la regardant comme un objet sacré. La majorité de ceux qui s’étaient échappés se retirèrent avec leur roi dans la ville d’Alésia. César assiégeait cette ville, que la hauteur de ses murailles et la multitude des troupes qui la défendaient faisaient regarder comme imprenable, quand surgit de l’extérieur un danger d’une ampleur inexprimable. Ce qu’il y avait de plus brave dans toutes les nations de la Gaule, s’étant rassemblé au nombre de trois cent mille hommes, vint en armes au secours d’Alésia ; or, les combattants, à l’intérieur, n’étaient pas moins de cent soixante-dix mille, si bien que César, enfermé et assiégé entre deux armées si puissantes, fut obligé de se protéger de deux murailles, l’une face à la ville et l’autre contre les survenants, car si les deux armées avaient opéré leur jonction, c’en était fait de lui. Aussi le péril qu’il courut devant Alésia lui valut-il, à plus d’un titre, une gloire méritée car jamais il n’avait montré dans aucun combat de telles marques de son audace et de son habileté. Mais le plus étonnant, c’est que les assiégés ne se rendirent pas compte que César avait attaqué et défait tant de milliers d’hommes venus du dehors, pas plus, et la chose est plus étonnante encore, que ceux des Romains qui gardaient la circonvallation du côté de la ville et qui n’apprirent euxmêmes la victoire de César que par les cris des hommes d’Alésia et les lamentations des femmes qui voyaient, de l’autre côté de la ville, une immense quantité de boucliers garnis d’or et d’argent, une immense quantité de cuirasses souillées de sang et encore de la vaisselle et des tentes gauloises transportées dans leur camp par les Romains, si vite se retrouva dissipée, comme un fantôme ou un songe, cette armée formidable, tous ayant péri dans le combat. Les assiégés, après s’être donné bien du mal à eux-mêmes et en avoir fait beaucoup à César, finirent par se rendre. Vercingétorix, qui avait été l’âme de toute cette guerre, fit parer son cheval, prit ses plus belles armes et sortit ainsi de la ville ; puis, après avoir fait caracoler son cheval autour de César, qui était assis, il mit pied à terre, jeta toutes ses armes et alla s’asseoir aux pieds de César, où il se tint en silence, jusqu’au moment où César le remit à ses gardes en vue de son triomphe »
(Plutarque, Vie de César)